Les catastrophes naturelles : tel a été le thème de notre dernière rencontre.
Pourquoi peuvent-elles intéresser un écrivain ? Quelques réponses :
Ce sont des éléments dramatiques qui peuvent tout changer d’un coup pour une personne, pour une région. Il y a donc là un fort potentiel de péripéties.
Survenant sans préavis - nous pensons aux tusmanis, aux tremblements de terre, aux inondations, aux incendies.... — elles surprennent les personnages, et les lecteurs.
Elles créent donc, malheureusement dans la réalité, mais de manière souvent intéressante dans les livres, des situations où les héros doivent survivre. Le quotidien se transforme en une série de défis et d’exploits.
Elles sont particulièrement spectaculaires ; les éruptions volcaniques, les tornades, même atroces dans leurs conséquences, fascinent.
Comme on le voit hélas dans les événements trop souvent relatés par les journaux, les catastrophes naturelles laissent l’homme désemparé, en deuil, blessé : un romancier s’emparant du sujet y trouvera matière à des histoires émouvantes.
Elles ont deux protagonistes essentiels, l’homme d’un côté, la Nature de l’autre. La catastrophe naturelle peut bien sûr être une des manifestations du destin, de la fatalité qui frappe ce tout petit être qu’est l’homme face au vent, à la mer, à la lave...
Mais, et en tout cas récemment ; les catastrophes naturelles sont aussi une conséquence de l’action de l’homme sur le monde. En parler nous renvoie à notre responsabilité et peut nous inciter à agir.
L’exemple qui vient tout de suite à l’esprit est celui du déluge, ou des déluges : plusieurs récits des origines racontent un identique mythe du déluge. Dans la Bible, au livre de la Genèse, chez le poète latin Ovide qui le raconte dans ses Métamorphoses, ou encore bien avant ces textes, dans l’Epopée de Gilgamesh, née en Mésopotamie peut-être dès -1700, la structure du récit est identique : le ou les dieux entrent dans une juste colère devant l’inconduite des hommes sur terre ; ils décident de les punir ; un homme a cependant une conduite droite, et mérite d’être préservé de la catastrophe ; il est prévenu et a le temps de construire un bateau où il montera avec sa famille. C’est lui, par la suite, qui fera renaître l’humanité.
Noé, dans la Bible, sauve aussi un couple de chaque race animale, dans la fameuse arche. Deucalion et Pyrrha, dans la mythologie grecque relatée par Ovide, trouvent refuge au sommet du Mont Parnasse et repeupleront la terre en lançant par dessus leur épaule des pierres qui se transforment aussitôt en hommes et femmes. C’est Uta-Napishtim, le personnage de l’Epopée de Gilgamesh, dont l’histoire est la plus complexe. Il raconte lui-même à Gilgamesh, roi d’Uruk, comment il a survécu au Déluge : toute l’humanité aurait dû y périr mais l’un des dieux prit pitié d’Uta-Napishtim. Tenu par serment, il ne pouvait le prévenir directement : il confia alors le secret aux roseaux, qui, bruissant des paroles qu’ils avaient entendues, les firent résonner comme en écho aux oreilles d’Uta-Napishtim. Celui-ci fit alors construire un énorme bateau, où il abrita non seulement sa famille et des animaux, mais aussi des artisans, pour sauvegarder toutes les techniques connues. Et les hommes échappèrent à la catastrophe....
Après l’eau, le feu : en 79, le Vésuve entra en éruption et recouvrit la ville de Pompéi, qui lui doit de nos jours sa triste célébrité, mais aussi ses alentours, avec par exemple Herculanum. Deux écrivains contemporains de l’événement se trouvaient assez près pour observer le phénomène : un oncle et son neveu, Pline l’Ancien, auteur d’une longue Histoire naturelle , et Pline le Jeune, connu pour ses Lettres. Pline l’Ancien est mort pendant l’éruption, après s’en être approché, pour observer autant que pour porter secours. Pline le Jeune avait 18 ans au moment de cette éruption et il l’a décrite dans deux lettres adressées à Tacite, un historien romain. " Déjà le jour était levé partout, mais autour d’eux une nuit plus épaisse que toute autre nuit et qu’atténuaient pourtant une foule de feux et des lumières de toute sorte "...
Cet épisode a inspiré des romanciers, parmi lesquels Edward Bulwer-Lytton, romancier anglais du XIXe siècle, qui a écrit une fresque historique dont les personnages, stéréotypés, font se rencontrer, sous la menace de l’éruption, différentes réalités de l’époque : un riche notable grec, un grand-prêtre des cultes sulfureux d’Isis, une esclave, des chrétiens, le tout sur fond de jeux du cirque... le livre eut un grand succès et a donné lieu à de nombreuses adaptations cinématographiques.
Plus accessible à nos jeunes élèves, une tétralogie récente imagine une lente et terrifiante montée des eaux marines : l’océan grignote les plages, les ports, les champs... Seule l’Amérique s’est protégée à temps, en érigeant une gigantesque digue. Pouvoir s’y abriter devient la seule chance de survie ; mais tous n’y sont pas les bienvenus, au contraire ! la Digue protège des eaux autant qu’elle isole des indésirables. Flavia, l’héroïne de ce roman d’Hélène Montardre, a grandi près de la mer, élevée par un grand-père qui observe les oiseaux pour guetter les changements climatiques, et qui a prévu depuis longtemps ce qui allait arriver. Il n’a pas pensé, cependant, à mettre à l’abri sa petite-fille.... Un jour, une occasion inespérée se présente... Flavia devra faire des choix. La série s’intitule Oceania et le premier volume La Prophétie des Oiseaux. Rebondissements et surprises en réserve.
Encore plus accessible, pour les amateurs, un manga : Tokyo Magnitude 8, de Usamaru Furuya, raconte l’histoire de deux jeunes gens victimes d’un immense séisme à Tokyo, et explore les différentes réactions face à une telle catastrophe. Jin, le héros, et Nanako, une amie retrouvée par hasard, se retrouvent face à eux-mêmes au moment du séisme, et surtout de ses conséquences. Et les héros ne sont pas toujours ceux qu’on croit...
Une réflexion sur la possibilité de se passer de la nature, et sur la dépendance envers la technologie : c’est ce que propose René Barjavel avec son roman d’anticipation Ravage. Ecrite en 1943, cette vision futuriste peu nous sembler datée. Elle est en tout cas très pessimiste, du début à la fin. Nous sommes en 2052. En France, tous vivent dans le confort permis par l’électricité, qui anime des trains hyper rapides, des lumières permanentes partout, des voitures aériennes non polluantes qui ont aussi résolu le problème des embouteillages. Plus de souci d’approvisionnement puisqu’on ne cultive plus rien : les aliments sont tous chimiques. Les vêtements ont des fermetures électromagnétiques, ainsi l’homme n’a plus le moindre effort à fournir, ni pour mettre un bouton ou nouer un lacet, ni pour monter un étage, car d’immenses ascenseurs déservent les non moins immenses tours qui caractérisent le paysage. Il peut se concentrer sur les loisirs, et notamment ceux que permet, une fois de plus, l’électricité, sous forme de projections télévisées si sophistiquées qu’elles semblent en trois dimensions.
On devine ce qui va se passer : une panne complète d’électricité qui engendre une panique totale, puis une sorte de guerre civile, dans un Paris où les habitants doivent lutter, parfois à mort, pour survivre. C’est ce que fera, avec particulièrement de talent puisqu’il est agriculteur et n’a jamais perdu le contact avec la terre, le héros, François Deschamps. Avec lui, son amie d’enfance Blanche, qui était sur le point de devenir une vedette télévisée, et des compagnons de hasard, entreprendront de traverser une France à feu et à sang pour gagner la relative paix d’un village épargné par la civilisation. Il ne s’agit pas tant d’une catastrophe naturelle que d’une catastrophe technologique, mais les effets sont semblables.
Il manquait à notre panorama une catastrophe plus sournoise mais plus terrible encore : l’épidémie. C’est Albert Camus qu’il convient évoquer, avec son très beau roman, La Peste, qui décrit la mise en quarantaine d’Oran, ville algérienne, pendant une épidémie (en grande partie fictive) de peste. Face au fléau, comment vont réagir les personnages ? Le docteur Rieux, dévoué corps et âme à ses malades mais impuissant, et dévoré par l’angoisse de savoir sa femme absente, et malade ? Joseph Grand, simple employé de mairie, atteint de la peste ? Raymond Rambert, un journaliste, prêt à tout pour quitter la ville ? Le père Paneloux, un prêtre qui voit la peste, au début, comme un châtiment divin ? La Peste, Camus s’en est clairement expliqué, est une manière de parler de la Résistance aux Nazis pendant la seconde guerre mondiale. C’est aussi un roman sur l’humanité et la dignité face à tous les fléaux.
Nous laissons de côté Céleste, ma Planète, de Timothée de Fombelle, mais seulement temporairement puisque le prochain Club Lecture sera consacré à cet auteur.
Credit photo : © Ig0rZh / Fotolia
Catastrophe !
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